La grandeur de Naples
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La première écoute des chefs – d’œuvre de l’ Opéra Napolitain est un choc de même nature que la découverte de Mozart ou la rencontre des fresques célébrant à la Villa des Mystères à Pompéi , le culte de Dionysos , Dieu de la vigne , de la végétation sauvage , du théâtre , de l’ irrationnel et du passage dans l ' au–delà. Dieu libérateur, de la joie, de la résurrection et du salut éternel.
Ou encore, la vision inoubliable de la mosaïque d’ Alexandre le Grand et de Darius , trouvée aussi à Pompéi , mais à la Villa du Faune ; mosaïque dont Goethe avait dit qu’ elle le « sidérait » . La peinture grecque , connue par ses copies romaines , selon des modèles , fascine encore.. Les trois Grèces, archaïque , classique puis hellénistique , nous hantent par leur perfection absolue . Toujours Naples. Pas la Naples moderne , misérable , du cinéma italien mais la Naples d’ autrefois , la mythique Parthénope, fondée par les Grecs ( Neapolis ) , chérie des Romains , résidence des Empereurs à Baies , la grande station thermale à la mode des riches Romains (aucune femme ne pouvait revenir de Baies la tête haute, disait-on alors ) , puis haut lieu de la culture, qui donnera à l’ Europe la farce dite atellane , la Comedia Dell’ Arte et les sublimes castrats . Formés à Naples , objets d’ un culte inouï dans toute l’ Europe sauf à Paris , les castrats inspireront le Bel Canto . Un jour , on célèbrera la grandeur de Naples , ville injustement traitée , qui a succédé à Venise comme capitale de l’ Opéra , tout au long du 18ème Siècle , avant de s’ effacer devant Vienne puis Milan. Naples, ville de la musique dès le 17ème Siècle, 2ème ville d’Europe après Londres a compté jusqu’ à 44 salles d’Opéra. Le nouveau Théâtre , le San Carlo (1737) était encore, à la fin du 18ème Siècle, le plus somptueux avec sa grande loge royale et le plus grand du monde (2500 places) , connu pour posséder le meilleur orchestre pour l’ Art Lyrique et les meilleurs chanteurs. Naples a pendant plus d’un siècle formé presque tous les grands compositeurs et chanteurs. Ils éclataient ensuite dans toute l’Europe avec leur credo , la suprématie du chant et une technique irrésistible. Caffarelli et Farinelli , les deux plus grands castrats de leur temps, élèves de Porpora , étaient attachés au San Carlo. L’art des castrats était purement napolitain. Un mot du Festival della Valle d’ Itria à Martina Franca. Cette ancienne capitale ducale de la Puglia (la Pouille), l’ancienne Apulie romaine, entre Tarente et Bari, fête tous les étés, depuis 1975, l’Opéra, en rappelant l’extraordinaire fécondité en compositeurs de talent du sud de l’Italie, de Naples à la Sicile où est né Bellini. Le sol de cette terre a constitué pendant 500 ans la Grande Grèce (Magna Graecia), foyer culturel intense et d’une très grande richesse agricole, industrielle, culturelle et scientifique, puis, bien plus tard, le siège du brillant Royaume de Naples et des deux Siciles, voué à l’art, à la musique et particulièrement à l’Opéra. La suppression, dans le cadre de l’unité italienne, de l’autonomie du sud, a entraîné son déclin ! Un désastre culturel. L’été 2003, le festival a reconstitué Proserpine, Opéra composé à la demande de Bonaparte par Paisiello pendant son bref séjour à Paris en 1803, jusqu’ au couronnement. Martina Franca a sorti de l’oubli de nombreuses œuvres. Seul le manque de moyens de ce modeste festival limite l’ampleur de la redécouverte. La France serait bien inspirée d’établir un pont avec l’Italie du sud, pour l’aider à ressusciter son passé culturel. Il faut aussi mentionner la création à la fin des années 80 à Naples, du centre de musique ancienne Piéta de’ Turchini, auquel est associé la Capella de’ Turchini. Cette formation remarquable a repris le nom d’un des quatre conservatoires mythiques de Naples. Elle exécute, après recherche musicologique et reconstitution, de la musique ancienne napolitaine, principalement du 17ème Siècle. A cette époque, Naples produit surtout de la musique religieuse pour ses 500 églises et chapelles. Le besoin de compositeurs, musiciens, chanteurs pour les chœurs, y est considérable, ce qui explique l’importance des quatre conservatoires, qui accueillaient jusqu’à 400 élèves ! A Naples tout le monde chante. Au 18ème Siècle, le thème de l’amour a remplacé la religion et Bacchus, le Dionysos romain, comme lui Dieu de la nature, du plaisir sans limite et de la tragédie, a reconquis son public. Il a même pris le pas sur Apollon, Dieu de la musique, et annonce le monde futur. Nietzsche a fait du débat entre Apollon et Dionysos, entre le rationnel et l’irrationnel, l’enjeu de notre civilisation, trop rationnelle, qui dériverait, déséquilibrée, depuis la fin du monde grec. Au 20ème Siècle, l’irrationnel grec a resurgi brusquement. Mai 68 est dionysiaque. En Grande Grèce, bien plus encore qu’en Grèce, le plaisir était souverain. Les concours de musique et de chant étaient aussi fréquentés par les artistes et le public que dans la mère patrie. Il n’y avait pas que Sybaris, Crotone et Tarente à s’y adonner. Les 40 villes grecques de l’Italie du sud ont probablement été, du 8èmè au 3ème Siècle avant J.C., les plus riches de leur temps, au centre d’un grand commerce international de produits de luxe en Méditerranée ; une mer, centre du monde antique, que se disputaient Grecs, Carthaginois et Etrusques, trois grands peuples marins et commerçants, qui seront victimes de la puissance militaire de Rome mais aussi de leur réussite. Par chance, Rome maintiendra les traditions étrusques et surtout, elle adoptera intégralement la civilisation grecque, très supérieure. Admirative, elle reprendra culture, religion, architecture et mode de vie raffiné des grecs. Au point que certains auteurs pourront affirmer qu’il n’ y pas eu de réelle civilisation romaine ! L’élite romaine possédait une bibliothèque grecque à côté d’une bibliothèque latine et l’enseignement était bilingue, donné par des maîtres grecs. A Rome, on vivait à la grecque. Dans l’Empire, particulièrement en Orient, on parlait Grec. Il en résultera Byzance, le grand schisme et la naissance du monde orthodoxe autour de l’an 1000. Rome reprendra en particulier l’amour sans limite des grecs pour la musique, le théâtre et les oeuvres chantées par les chœurs et l’artiste chargé du récitatif, à l’origine de l’opéra. La musique était partout, du banquet aux cérémonies privées et officielles. Elle était de ce fait une composante essentielle de l’éducation de la jeunesse, avec le sport. Naples, au confluent des deux civilisations, a repris cette tradition de la musique. . |